Aux origines

 

 

              La première mention que nous ayons  du lieu, non pas de Serrabone , mais d'un lieu tout à fait proche, qui n'a pas été identifié, mais qui jouera son rôle en tant qu'élément de datation, remonte en l'an 942, il s'agit du terme de "Casals", au pluriel.

              La première mention de Serrabone, effectivement, date de 1068, au moment où l'Eglise achète la moitié de ce fameux "Casals", qui est un mas. C'est tout ce que l'on sait. On connait le nom des acheteurs, le nom du vendeur, l'objet de la vente, la date de la vente. On n'a absolument aucune indication sur la nature de l'édifice.

              Il faut attendre 1082 pour voir Guillaume Manfred, le seigneur de Corsavy, et deux autres signataires, qui fondent un prieuré de chanoines augustins. Cette fondation fait référence à un édifice du 11° siécle, mais là non plus nous n'avons aucune indication sur la morphologie du dit édifice.

              Il va de soi que d'après les transformations qui seront opérées plus tard, on pourra en déduire qu'à cette époque là, l'église se limite à une nef terminée vraisemblablement au 11° siécle par une abside semi-circulaire. C'est tout ce que l'on sait.

              Nous en arrivons à la date de consécration, la seule que nous ayons, bien qu'il y en ait eu une au préalable, de 1151 où les mêmes individus procèdent avec l'évèque d'Elne et l'évèque de la Seu d'Urgell à la consécration de Santa Maria de Serrabona. On sait qu'il y a trois autels, mais seule la Vierge est désignée en tant que titulaire. On ignore quels sont les titulaires des autres autels.

 

Le premier édifice connu, ses évolutions et les controverses

 

              En 1151, la consécration traduit des choses que l'on peut vérifier dans la morphologie des appareils. Nous avons affaire à un edifice relativement complexe, mais classique dans sa constitution: une nef centrale, qui se termine par un transept bas; la nef centrale présente une abside semi-circulaire en saillie, alors que les croisillons du transept qui sont dotés de deux absidioles,  ne laissent transparaitre aucunement la complexité de leurs absidioles à l'extérieur. Nous avons des absides aménagées en réserves, exactement comme les quatre absidioles de Corneilla del Conflent. On a donc ajouté un bas-côté au Nord qui est doté d'une porte avec des éléments sculptés. Il existait au 11° siècle une porte ouvrant dans la façade Ouest qui  présentait aussi des éléments sculptés. Nous avons un clocher tour, de section carrée qui flanque la nef dans sa partie occidentale  et dans la partie Sud, nous avons une galerie promenoir qui ne relève pas d'un choix des Augustins. Les premiers cloîtres qui ont été bâtis se limitent à très peu de choses. A Corneilla del Conflent on n'a qu'une galerie parce que la topographie du terrain interdisait d'en faire quatre. Ici également on n'a qu'une galerie parce que la topographie du terrain interdit d'en faire quatre, vu le ravin.

Il y a tout une série de choses qui sont plus ou moins contestées. D'abord vous pouvez voir l'appareil de la nef  . Vous voyez que la nef, dans sa partie haute,  -la nef centrale-, après le clocher, parce que toute cette partie (la façade Ouest) a été entièrement reconstruite -elle était effondrée- La façade Nord de la nef où vous avez cette fenêtre grillée, qui est d'ailleurs mal faite, vous avez donc un appareil qui va du clocher (vous voyez la limite, le changement d'appareil) et qui est du 11° siècle. Nous sommes dans le schiste.

L'oeuvre de schiste c'est l'architecture. L'oeuvre de marbre c'est la sculpture.

La différence est nette. Vous avez des moellons qui sont travaillés au marteau, parfois ils sont pris à tout venant dans les carrières de schiste parce qu'on trouve quand-même des moellons qui ont une surface plane; on ne peut donc pas affirmer que tous les surface planes relèvent d'une intervention humaine. Vous voyez que nous avons un appareil 11° siècle qui est fait de moellons de dimensions différentes, qui composent des assises plus ou moins horizontales, et qui offrent une surface relativement plane. Vous pouvez voir que la date de 1151 correspond au prolongement de la nef parce qu'on en a supprimé à ce moment-là l'abside. La construction s'opère vers l'Est, on prolonge la nef et inévitablement, en la prolongeant on la dote d'un transept. Donc, dans la chronologie de la construction, nous avons la construction conjointe de la nef, le prolongement de la nef, et la construction d'un transept. Et chronologiquement après, il y a le clocher. Ce clocher, si vous l'observez, n'est pas solidaire de la nef. Il a son mur propre, c'est-à-dire qu'il y a le mur de la nef et le mur du clocher. Lorsqu'on observe par les interstices le bas-côté et le clocher, il y a le mur qui appartient au bas-côté et le mur qui appartient au clocher. Le bas-côté est venu se loger dans l'espace qu'il lui restait, c'est-à-dire le croisillon -le bras du transept- et le clocher.           

           Pour Ponsich, il n'y a aucune preuve,aucun document écrit sur la construction du clocher; il travaille d'après la typologie des appareils. Là, il a certainement mal observé les choses. Parce que quand on observe l'appareil du bas-côté à côté de celui du clocher, il y a peut-être certaines divergences, mais l'appareil du clocher est un appareil parfaitement taillé. Il n'est pas du tout comparable avec l'appareil de la nef. Et vous verrez que la galerie-promenoir  qui date de 1151, présente un appareil de moindre qualité, au point de vue travail, que le clocher. Donc, à la limite, il faudrait placer cette galerie antérieurement au clocher. Enfin peu importe. Ce sont des querelles vaines qui n'apportent strictement rien.

           Nous avons donc ce bas-côté qui est vouté en quart de rond.C'est une manière de contrebuter la nef, qui n'est pas très haute, il faut le remarquer. Si vous avez le souvenir de la nef centrale de Sainte Eulalie de Fuilla, on a une nef centrale très haute, contrebutée au Nord et au Sud, par deux bas-côtés qui contrebutaient les forces transmises au mur par la voûte. Un procédé classique.

On va ouvrir une porte dans ce bas-côté. Cette porte va reprendre le schéma de ce que l'on appelle les portails "roussillonnais": une porte avec un tout petit ébrasement, deux colonnes à chapiteaux qui se logent dans chacun des ébrasements, un tore, et, il faut se rendre à l'évidence, cette porte débouche sur le cimetière. C'est une porte qui est au Nord; évidemment ce bas-côté nécessitait une ouverture, étant au Nord puisque de l'autre côté on a choisi de faire la galerie-promenoir. Ce sont des modalités totalement logiques. On n'avait pas le choix. Elles sont imposées par la nature des lieux. Mais on avait conservé la porte à l'Ouest. Nous verrons l'importance que ça avait. De l'autre côté, on construit la galerie-promenoir avec huit chapiteaux.

                          Nous verrons qu'il y a deux séries de chapiteaux; l'une appartient à un atelier, c'est indéniable, l'autre appartient à l'atelier qui a construit la tribune. A cette même époque, à l'intérieur, on dote l'église d'une tribune, une tribune monastique, c'est-à-dire une espèce de pont surélevé, qui permet aux chanoines et aux moines de chanter. Ce qu'en catalan on appelle "al cor" et qui est toujours situé chez nous à l'Ouest. Nous verrons les polémiques qu'a engendrées cette tribune quant à sa position. Est-ce qu'elle est à sa position originelle?; est-ce qu'elle n'y est pas?; est-ce qu'elle a été transférée?; est-ce qu'elle a été retournée?; est-ce qu'elle n'a pas été retournée? Il y a toute une série d'hypothèses qui sont toutes aussi valables les unes que les autres.

Donc une tribune qui présente onze chapiteaux sculptés, et deux piliers également sculptés. Trois arcs d'un côté, une seule porte de l'autre côté.

             L'iconographie va également atteindre les murs, la voûte. Il y a des restes de fresques qui ont considérablement été endommagées, puisque l'église est restée à l'abandon pendant très longtemps. Il y avait une descente du Christ aux enfers, une descente du Christ aux limbes, et une crucifixion dont il ne reste plus que le bras droit du Christ, et le visage de la Vierge ou de St-Jean. C'est tout ce qu'il en reste. Nous verrons des types de portes particuliers qui renvoient à des époques différentes et c'est là-dessus que l'on peut s'appuyer pour savoir si la tribune est à son emplacement, si elle a été créée exclusivement au 12° siècle ou s'il y en avait une qui l'a précédée au 11° siècle.

              Nous irons maintenant vers les absides, et vous allez voir une chose très intéressante, c'est que toute la partie basse du mur du bas-côté, mur Nord du croisillon, mur Est du croisillon, tout le mur de l'abside, l'autre mur du croisillon et le retour de ce croisillon, présentent tous  deux à trois assises  de très grand appareil en schiste extrêmement taillées. Or on ne retrouve pas cette construction au clocher, ce qui fait dire à Ponsich que le clocher a précédé tout le reste. Mais rien ne le démontre. On se fonde là sur des comparaisons d'appareil, mais la typologie n'est pas quelque chose de suffisamment scientifique pour en tirer des lois catégoriques.

On va aller juste derrière, on pourra voir les absides; vous verrez des ouvertures de l'extérieur, la manière de mettre en valeur la façade -ce qu'on appelle l'animation des façades- avec des réminiscences qui appartiennent à l'art lombard, introduit au 11° siècle.

Là vous avez une tombe, et vous en avez deux là-bas qui sont intéressantes. C'est une manière de marquer la sépulture au sol. Et ce sont des tombes qui sont traitées comme les arcosoliums des catacombes, c'est-à-dire un demi-cercle, le reste étant beaucoup plus profond. Au Moyen Age (vous l'avez au cloître St-Jean, qu'on appelle à tort le Campo Santo,parce qu'on avait au début comparé le cloître St-Jean au cloître cimetière de Pise qui porte effectivement le nom de Campo Santo).

Sur le chevet vous remarquerez deux choses intéressantes: vous avez deux types d'appareil, un appareil supérieur et un appareil inférieur qui sont entièrement différents. Donc, dans la mesure où nous avons deux traitements, c'est qu'il y a eu, non pas un choix mais certainement un rèemploi de l'appareil 11° de l'abside détruite, qu'on a réutilisée en soubasement avant d'y asseoir le nouvel appareil qui allait constituer  tout le chevet. Vous remarquerez que ça a été calculé de manière impeccable: on a récupéré tout le dénivelé. Il va de soi que tout ce qui était poli a été considérablement délité par le temps et les intempéries. Au moment de la construction le schiste était certainement en meilleur état. Ce qui me fait dire qu'on a affaire à un appareil 11°, c'est qu'on voit des traces de lais, verticales. Donc ce sont des blocs  qui ont certainement été retravaillés et qui proviennent d'un réemploi. Quant aux fenêtres, -celle-ci est une fenêtre arc en plein cintre avec des   clavaux  taillés qui sont disposés dans un sens rayonnant, nous avons un seul ébrasement, et l'arc intérieur est creusé dans un seul bloc. Il est classique d'avoir un linteau monolythe qui en même temps remplit le rôle d'arc. Quant au pied droit, vous pouvez voir des traces de lais sur le pied droit inférieur droite qui sont constitués de deux blocs à peu près égaux de schiste, assez bien polis. Quant aux croisillons, les seules fenêtres qu'ils présentent sont des fenêtres de type pré-roman. Ce sont des fenêtres là aussi qui présentent un arc creusé dans une pierre, d'un seul bloc donc, et chaque mur-pignon du croisillon est sommé par un fronton. Donc il y a un souci de la symétrie. Quant à l'animation des façades, qui chez nous va intervenir en 1022,  date de la consécration du clocher de San Pau de Py, qui présente les premières traces d'architecture lombarde, c'est-à-dire cette série de festons que l'on appelle arcature aveugle et qui courent sous l'égout du toit et qui retombent ou ne retombent pas, tout dépend du choix du maçon, sur des pilastres en relief que l'on appelle des "lésaines" ou des bandes lombardes. Ce procédé va s'enrichir, toujours au 11° siècle, d'un autre type de décoration que l'on appelle "les dents d'engrenage". Au 12° siècle, on va reprendre exactement les mêmes procédés, en les magnifiant, du fait que la pierre est taillée. Nous avons ici une reprise plus discrète de l'un de ces procédés d'animation qui se trouve sous l'égout du toit, qui est cette couronne de dents d'engrenage qui est prise en sandwich entre deux assises de blocs taillés. Vous pourrez remarquer que l'assise inférieure repose sur une série de corbeaux taillés en cavés qui ne sont pas du tout décorés, preuve que le schiste est une pierre rebelle à la sculpture. Il est d'ailleurs assez étonnant de voir que les maçons, à la même époque (on n'est pas très loin de la construction de la tribune, de la galerie-promenoir ou du portail) n'ont pas utilisé des corbeaux en marbre qui auraient pu être sculptés. On retrouve le même dispositif à l'église d'Estavar, si ce n'est que les corbeaux sont sculptés. On retrouve sous l'égout du toit une corniche prise en sandwich mais des corbeaux sculptés. Il y a plusieurs églises qui présentent ce même type de décoration.

 

              A l'intérieur, on est ici dans ce qu'on pourrait appeler la croisée du transept, puisqu'il n'y a pas de véritable transept puisqu'on a une nef qui se poursuit et dont les murs porteurs sont troués d'arcades qui, chacune, permet l'accés sur chacun des croisillons. La nef est voûtée en berceaux brisés. On peut apprécier le niveau à partir duquel elle a été continuée. Donc on peut admettre que le chevet initial devait arriver jusqu'ici, puisque là on a encore un appareil 11°. On peut donc dire au mètre près, à quel niveau la nef 11° s'arrêtait. On l'a prolongée par un chevet constituant une abside semi-circulaire dotée d'un cul de four appareillé, d'une amorce d'arc triomphal qui est lui-même percé par une petite ouverture (c'est un trou de serrure à l'envers, curieusement, et non à l'endroit; la partie arrondie est vers le bas) et puis vous avez un premier élément sculpté garni d'ébrasements intérieurs de cette fenêtre.Sur le chapiteau de gauche, vous avez affaire à des colonnes monolythes reposant sur des bases; l'une est scupltée, l'autre non. Les chapiteaux sont sculptés. Celui de gauche représente des feuilles accrochées qui se recourbent à leurs extrémités et qui sont surmontés de volutes d'angle. Au dé, vous avez toujours le visage de ce personnage en position frontale et assez hiératique. Le chapiteau de droite présente des griffons qui sont affrontés par les pattes arrière qui reposent sur l'astragale. Ils sont également affrontés par le poitrail. Par contre ,  -et ceci est une des contenances architectoniques voulue par la charge que remplit le chapiteau, à savoir celle de support,-  leurs têtes sont rejetées aux angles. Nous avons affaire à des griffons -ou des lions- qui mordillent leurs ailes. De toute manière, qu'il s'agisse de lions ou de griffons ailés, lorsqu'ils sont dans cette attitude dressée, ils mordillent généralement l'extrémité de leurs ailes. Le tout est couronné par un tore qui demande une faible portée compte tenu de l'arc de la fenêtre, qui reprend le fameux motif de l'entrelacs et les parties vides sont toujours colmatées à l'aide d'un fleuron, d'un coupon ou d'une tête.          .

La table d'autel mérite une petite explication. C'est une table d'autel romane. Mais elle n'est pas originaire de Serrabone. Elle provient de San Feliu de Coudalet. Et cette table d'autel figurait dans l'inventaire d'une chapelle latérale. Elle était beaucoup plus grande, et elle a été taillée conformèment aux normes, c'est-à-dire qu'elle occupe les un tiers de l'arc triomphal, de manière à ce que les proportions soient respectées. Elle présente à sa base inférieure un chanfrein et le matériau qui la constitue est une espèce de griotte qui est un marbre qui présente des grains assez gros, en matière de granulométrie. Pour ce qui est des absidioles, elles sont pratiquées dans l'épaisseur du mur, comme à Corneilla del Conflent, et dans un souci pour marquer la rupture entre le mur et le puits de four de chacune des absidioles, comme cela a été fait pour l'abside, vous avez une corniche qui limite l'arrachement de la voûte et de l'arc. Nous retrouvons la même chose à l'intérieur de chacun des croisillons; le sommet du mur est matérialisé par la même corniche. Ceci est une attitude architecturale propre à un très grand nombre d'églises. De chaque côté, il y a des armoires, qui sont, elles aussi, gagnées en réserve dans l'épaisseur du mur, (une de simple à droite, une de double à gauche). Chacune de ces armoires présente une feuillure, ce qui montre bien que le procédé pour les fermer était un vantail sans aucun doute en bois avec des gonds. Là-bas, nous avons un lavabo, au sens étymologique du terme. C'est un évidement, creusé en réserve, en évier, avec un trou d'évacuation pour l'eau, ce qui permettait au prêtre de se purifier les mains avant de commencer l'office. Il est intéressant de retrouver ce dispositif présent à Serrabone, alors qu'il est absent d'un grand nombre d'églises. Peut-être recourait-on à ce moment-là à l'usage d'une bassine ou d'un vase sacré. Quant au modillon sculpté -on appelle modillon un corbeau-, on ignore s'il figure à sa place originelle. Peut-être y a-t-il été placé après coup, parce qu'il faut savoir quand-même que, au début du siècle, -les cartes postales le montrent-, on avait bâti un retable à l'aide de deux colonnes prélevées dans la galerie promenoir. Ce qui fait qu'on avait remplacé les colonnes par des piliers de briques vaguement maçonnées, et on avait bâti une espèce de retable en arrière de l'autel. Peut-être ce modillon est-il un des rescapés de ce retable. D'où vient-il? C'est difficile de le dire. Mais c'est un fait qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau par la morphologie et par le motif qu'il représente à bien des modillons présents sur la façade de la tribune. Peut-être vient-il de la tribune et aurait-il été recyclé ici lorsqu'on a remonté la tribune. Parfois vous démontez quelque chose et il vous reste des pièces. Il est possible que n'ayant plus su où le caser parce que tout était fini, on a décidé de l'installer ici. Mais ça, c'est une hypothèse qui pour l'instant n'est pas vérifiée.

On peut passer dans le bas-côté. On voit quatre colonnes et non pas deux. C'est ce fameux retable qu'on avait monté; il y a même des chapiteaux qui ont été prélevés on ne sait où. En balayant du regard de gauche à droite, vous avez l'appareil 11°, le mur de la nef primitive, et le mur 12° lorsqu'on a doté cette nef primitive d'un bas-côté. Vous voyez que la voûte est en quarts de ronds. L'arc qui permet le passage du bas-côté au croisillon est un arc qui est soigné puisqu'il est à double rouleaux, càd que vous avez un premier arc, légèrement en retrait, en décrochement, surmonté, de part et d'autre, par un arc identique, ce qui valorise le passage. Encore un souci de la mise en scène. Quant à la porte, elle présente intérieurement un curieux profil. Le profil extérieur est en plein cintre. Le profil intérieur est en ce que l'on pourait appeler  en "anse de panier". Est-ce un arc originel ou non? Il est difficile de se prononcer là-dessus. Vous avez ici une preuve de l'antériorité du clocher sur le bas-côté, compte tenu du fait que le bas-côté mord sur une partie du pied droit de la porte qui permet d'accéder au clocher. Normalement on devrait avoir un espace puisque l'arc du clocher se perd dans l'épaisseur des murs. Donc, c'est que le clocher est de construction antérieure. Chronologiquement, cela s'entend. Mais cela ne veut pas dire qu'il y ait un décalage de 50 ans, comme le prétend Ponsich . Il le place début 12° ou fin 11°; et il placerait l'établissement de ce bas-côté en 1151. Il est difficile d'admettre qu'il y a eu cinquante années de décalage entre un simple mur et cette sacrée bâtisse. Là aussi, un des avatars des remaniements ultérieurs qu'ont subis les églises, dans la mesure où on a construit un bas-côté, pour le doter d'une porte, il fallait au moins ménager un accés avec la nef originelle. Les maçons ont trouvé cette solution; ils ont détruit une partie du mur ( vous voyez que ce pilier est du 12°) et ce pilier supporte des arcades absolument identiques. Elles ont exactement le même diamètre et elles sont appareillées dans une pierre taillée, clavaux rayonnants, avec même une clef de voûte. (On ne parle de clef de voûte que lorsque le clavau se situe à la partie perpendiculaire au diamètre. Lorsque les deux clavaux occupent cette position, on ne peut pas parler de clef de voûte). L'ensemble des pierres taillées qui constituent un arc s'appelle des clavaux. Le clavau qui occupe la partie centrale au sommet de l'arc, porte le nom de clef de voûte. Les deux clavaux qui sont situés au départ de chacun des arcs -que l'on appelle la naissance des arcs ou l'arrachement des arcs- portent le nom de sommiers, càd qu'ils reçoivent une charge (pensez aux bêtes de somme).De part et d'autre de la clef de voûte vous avez ce que l'on appelle des contre-clefs. Tout le reste s'appelle clavau. Le nom générique c'est clavau. Selon la position qu'ils occupent dans l'arc, nous avons les sommiers, la clef et les deux contre-clefs. Les parties qui font saillie portent le nom d'impostes. S'il s'agit d'un chapiteau, ça prend le nom de tailloir. Donc la terminologie en matière d'architecture varie pour nommer des choses qui ont la même morphologie et en plus parfois la même fonction.

On va aller de l'autre côté pour parler de cette tribune. Nous allons d'abord commenter la tribune. Nous évoquerons ensuite toute la polémique à laquelle elle a donné lieu.

 

La tribune et ses controverses

 

             Il s'agit d'un élément que d'aucun qualifie de mobilier, si ce n'est que le mobilier, ça peut se déplacer. Enfin, elle a été déplacée, mais ce n'est pas pour autant que l'on puisse parler de mobilier. Il s'agit d'une oeuvre purement architecturale d'intérieur qui obéit à une morphologie extrêmement symétrique. Vous avez un pilier qui répond à un autre pilier; deux colonnes géminées, des colonnes simples et une colonne géminée là-bas. Vous voyez que déjà, au niveau de la symétrie, il y a une certaine anomalie, dans la mesure où cette colonne géminée ne répond pas à une autre colonne géminée là-bas. Donc, déjà, on peut s'interroger.

             La façade est intéressante. On s'occupera ensuite de tout ce qui est iconographie des corbeilles, qu'il s'agisse des piliers ou des chapiteaux. Cette façade est décorée d'un bout à l'autre. Il n'y a qu'une seule plaque qui ne le soit pas: c'est ce triangle, qui prend le nom d'écoinçon, qu'on trouve à gauche du lion de St-Marc. Cette façade est intéressante parce qu'elle présente une théophanie.

La théophanie, c'est la représentation de Dieu. Et ce Dieu est représenté comme l'agneau brochant la croix.C'est en fait l'agneau de la Résurrection. Cette manière de représenter le Tout-Puissant, n'est pas en premier chef, conforme à l'iconographie romane du 12° siècle. C'est une iconographie qui prend naissance très tôt, au moment où l'on interdit de représenter le visage de Dieu sous un aspect humain. A ce moment-là, l'art chrétien utilise toute une série de symboliques, qui peuvent être le poisson, et qui sera l'agneau. Mais ici nous avons affaire à un agneau qui a la connotation de l'agneau de la Résurrection. Et cet agneau est, lui aussi, cantonné par les symboles des Evangélistes. Il va de soi que si vous comparez avec les constructions d'Arles-sur-Tech, ou aux constructions que l'on trouve aux culs de four des églises, nous avons des constructions extrêmement symétriques avec une mandorle cantonnée en-bas à gauche et à droite par les symboles des Evangélistes, il n'y a rien de tel ici, puisque vous avez l'ange de St-Matthieu qui est en contact direct avec l'agneau, nous avons l'aigle de St-Jean et le lion de St-Marc qui sont rejetés carrèment à gauche, et vous avez le taureau de St-Luc qui est à l'autre bout. Lorsque l'on se pose la question -Marcel Durliat a parlé de théophanie voilée-, (c'est vrai que si l'on observe cette dispersion des éléments qui sont habituellement regroupés ailleurs, on est quand-même obligé de faire intervenir ici la contrainte spaciale), nous avons des arcs dont les parements sont décorés; les triangles courbes que vous avez entre chaque arc portent le nom d'écoinçons; nous avons deux écoinçons complets, et deux demi écoinçons. En ayant cinq personnages à caser, géométriquement parlant, vous ne pouvez pas placer un personnage au milieu et les autres répartis symétriquement de part et d'autre de ce personnage central. Donc, il y a un choix, une contrainte qui est imposée dans la répartition du motif. Je réfute donc cette appellation de théophanie voilée. Le seul moyen de se rendre compte que le Christ est véritablement le centre de la scène, ne repose pas sur la disposition géométrique des éléments, mais simplement sur le fait que chacun des Evangélistes a le regard tourné vers l'agneau. Vous avez là aussi trois lions qui sont placés en parement, qui montrent très bien que nous sommes à un seuil, à un passage.

Si vous allez par exemple à St-Gilles du Gard, vous avez un portail triple, un peu dans la conception des arcs de triomphe romains, dont les colonnes reposent sur des lions qu'elles écrasent. On comprend que le lion est en même temps le gardien du seuil  et un animal dangereux qu'il faut vaincre. Le lion est un animal qui est polysémique; il a plusieurs valences, plusieurs sens. Tantôt il est le substitut positif (c'est le cas du lion de St-Marc, qui fait référence à la caractéristique particulière de l'évangile de St-Marc, qui fait lui allusion à la Résurrection, selon cette fameuse légende où le lion souffle dans les naseaux des trois lionceaux morts-nés qui ressucitent trois jours après leurs morts; donc cette légende est en parfait accord avec la traduction de l'évangile de Marc). Tantôt le lion a une connotation négative et il est associé au démon. On fait référence à ce passage où l'on parle de Satan qui déambule tel un lion cherchant une proie à dévorer. Donc selon le contexte, il en est des motifs iconographiques comme il en est des mots. Il y a une grammaire de l'espace comme il y a une grammaire de textes. Donc il faut être très vigilant à ce niveau. Remarquez là aussi l'abondance de la décoration.

Les arcs sont décorés, pour celui de gauche, d'un motif que l'on appelle en quatre feuilles; celui du centre est décoré d'une manière beaucoup plus somptueuse (il s'agit de l'arc central, il y a donc une manière de priviligier le centre; c'est un universel de la pensée) et nous avons l'autre arc qui est décoré d'un motif de palmettes. Pour ce qui est de l'arc central, la construction est extrêmement intéressante. Nous avons un galon perlé qui ondule. Quand on regarde de près, on s'aperçoit que ce galon perlé est vomi, ou craché, par un animal qui semble être un lion. Ce type de l'animal qui crache des fleurs, - au départ c'est celui qui a inspiré l'animal qui crache le galon (le galon n'étant ni plus ni moins qu'un avatar de la fleur)-, on retrouve ce type de motif dans les manuscrits irlandais. A Arles-sur-Tech, vous verrez  à la fenêtre qui jadis s'ouvrait sur le porche maintenant détruit de l'abbaye -fenêtre qui se trouve dans une des rues d'Arles-sur-Tech, à la valeur d'un premier étage et qui abrite un St-Xavier qui n'a rien à y faire- vous avez un animal qui crache un rinceau de feuillage. Ici on a adopté exactement le même dispositif; cette bande ondule, et vous avez, se répartissant de manière très symétrique selon les ondulations, toute une série d'animaux, dont certains sont réels -qui existent-, d'autres sont des animaux purement fictifs, fantastiques. Nous avons ici un griffon, qui n'est pas ailé, un lion à tête d'aigle, un autre lion qui mord le galon. Les animaux prennent appui sur ce galon, comme s'il avait une certaine matérialité. Vous avez un lion à crinière qui est entièrement renversé, dans une position qui permet la construction symétrique des deux lions qui le cantonnent. Nous avons un autre lion, encore un autre griffon qui répond à celui-là, un autre lion et puis un autre lion. Le seul animal ailé que nous ayons, c'est l'aigle qui est en bas et qui mord de son bec le galon perlé. Autre motif aussi intéressant, deux séraphins -des super anges qui appartiennent aux catégories supérieures des anges, qui sont, eux-aussi, campés les mains tendues, paumes en avant. Vous l'avez vu à la chapelle de Sant Marti de Fenouilla, où vous aviez la Vierge inscrite dans une mandorle dans un carré sur pointe. Mais la vierge avait ici une valeur, à la fois de consentement, puisqu'elle s'affirme comme étant la servante du Seigneur. Ici, la signification est différente, puisque cette attitude des mains a deux valeurs, tantôt c'est l'acceptation, tantôt c'est le signe du témoignage. Ces anges, en fait, se portent garants de l'existence du message de Dieu. N'oublions pas que les anges en Grec -angelos-, ce sont les messagers. Ce sont les créatures qui, sans arrêt, font les allées et venues entre le ciel et la terre, entre le naturel et le surnaturel. Ils permettent ce type de communication. Rappelons-nous que c'est l'archange Gabriel qui est venu annoncer à Marie qu'elle serait la mère du Saint-Esprit.

On va voir les piliers. C'est toujours le thème des lions. Un des chapiteaux qui est peut-être le plus intéressant et qui illustre le mieux les théories qu'avait développées au début des études romanes Guy Faucillon, qui a dégagé toutes les lois architechtoniques sur l'art roman. Il parle de la loi du cadre, à savoir que la structure monumentale s'enferme dans des contraintes architecturales dont elle n'est pas maîtresse, il faut qu'elle s'en accomode; il y a la loi des multiples contacts, à savoir que tous les motifs s'expatrient, s'exilent vers des limites extrêmes du cadre qui leur est imparti et ils se touchent entre eux, et puis l'horreur du vide: vous pouvez voir que tout est rempli. Je faisais valoir que dans le cloître de St-Génis des Fontaines, le fond de la corbeille sur lequel se détachent les animaux était lisse. Alors qu'ici, nous avons des creux et parfois même des trous de trépas. La partie intéressante ici, c'est que nous avons des monstres, des lions, qui achèvent d'avaler d'autres monstres dont il ne reste plus que les pattes antérieures. Il y a certainement ici une connotation du mal, l'ingestion, la disparition de l'autre. Puis nous avons ici une lionne, qui doit avoir son répondant ici, qui est entièrement courbée. Puis nous avons ce serpent qui trouve son point de départ ici, qui se love, qui passe derrière, qui se love une seconde fois et qui vient jusqu'ici. Nous avons donc ici un chapiteau qui connote le mal, toutes les paniques lièes à la période médiévale. Curieusement à côté, nous avons ce singe dans une attitude provocatrice, lubrique, qui est cantonné de ce côté par un séraphin qui a les mains dans la même position que ses homologues ; de l'autre côté, nous avons un autre séraphin -vous remarquerez la construction symétrique; les motifs identiques sont toujours construits sur les arêtes diamétralement opposées-. Répondant, et ça n'est pas gratuit, au singe, vous avez l'archange St-Michel dont je faisais valoir qu'il disposait de l'arme symbolique, la croix, et de l'arme matérielle, la lance. Il est en train d'achever le serpent qui est représenté sur le chapiteau d'à côté. Il y a certainement une continuité de sens d'un chapiteau à l'autre.

               Il y a des chapiteaux évidemment qui posent des problèmes.

Nous avons sur celui-ci  ce que l'on pourrait appeler des centaures si le corps de cet animal était un cheval. Or il a des pattes à griffes comme le lion. On est donc obligé d'admettre qu'il s'agit d'un lion. En plus, le cheval n'a jamais été représenté sur les chapiteaux romans ici. Donc on ne peut avoir affaire qu'à un lion. Et ce qui le confirme, c'est cette queue qui se termine en palmettes que l'on retrouve absolument sur toutes les représentations des lions. Cela ne fait donc aucun doute: il s'agit d'un lion à tête anthropomorphe, un lion androgyne, à tête d'homme. De l'autre côté lui fait face un lion. Entre les deux, nous avons ce personnage central, vêtu d'une tunique à plis ornée à sa base inférieure d'un galon perlé, -nous n'en voyons que les pointes des pieds qui dépassent-. Ce personnage est curieusement un petit peu dans la position d'un dompteur (c'est peut-être une interprétation moderne) qui reçoit sur son épaule la patte antérieure de chacun de ces deux animaux, comme s'il était un b             associé à l'Hercule assyrien. Curieusement ce personnage empoigne de la main droite l'oreille de cet homme et la langue de l'animal. Il est difficile de voir quel est le sens que peut véhiculer la présence de ces personnages disparates, l'un carrément animal, l'autre qui est à moité animal à moitié homme, l'autre qui est entièrement homme. Est-ce-qu'il y a une progression de l'un à lautre? Est-ce-qu'on glisse de l'animalité vers l'humanité? De la nature vers la culture? Ce sont toute une série d'hypothèses que l'on peut émettre, qui logiquement coincident, satisfont l'esprit, mais est-ce-qu'elles coincident avec la mentalité médiévale? Je ne me hasarderai pas à le dire.

Autre chapiteau, qui est plus explicite, en face. Celui-ci est plus intéressant. Vous avez toujours la même construction, si ce n'est qu'ici vous avez un cerf, vous en voyez les bois, -je vous expliquerai quelle est la valeur du cerf dans l'iconographie chrétienne- et ici nous avons un centaure sagittaire. Vous remarquerez qu'ici la queue passe par-dessus. Donc nous n'avons peut-être pas affaire à un lion, si ce n'est que si l'on avait voulu aller dans le sens du réalisme -ce qui n'est pas le cas à l'époque romane-, on n'aurait pas une queue type félin. On n'a pas une queue de cheval. Donc nous avons un centaure sagittaire. Vous remarquerez qu'il a tiré une première flèche et qu'une seconde vient de transpercer le cerf. Le cerf a deux valeurs essentielles. D'une part il s'inscrit dans les mentalités dans un contexte positif, comme le serpent. Le serpent est symbole d'éternité dans la mesure où, comme la végétation, il se renouvelle annuellement par sa mue.D'autre part,il représente le mal, toujours le diable, et evidemment, l'attitude toujours du chasseur qui essaie d'atteindre par toutes les stratégies possibles l'âme qu'il devra chercher à compromettre. 

 Là, vous avez des chapiteaux avec des aigles. C'est la partie la plus intéressante. Les aigles, on les retrouve X fois. L'aigle est un animal carnassier, exactement comme le lion, si ce n'est qu'il est doté d'ailes. Quand vous l'associez à St-Jean, il a un aspect positif. Quand vous l'associez au lion, il prend un caractère négatif. Peut-être ne faut-il pas essayer de donner une signification à tous les motifs qui ornent les corbeilles. On a peut-être tendance à être un peu déviationniste. Ici, à peu près les mêmes motifs que nous avons à la fenêtre là-bas. Nous les voyons plus clairs.  Ce sont des griffons ailés, droits sur leurs pattes postérieures qui mordillent leurs ailes. Vous avez ici un exemple parfait de la symétrie: deux griffons adossés par les poitrails, pattes avant jointes sous le nez et vous remarquerez que ce lai, ici, n'est pas décoré d'une tête humaine. Il y a quelques chapiteaux qui n'ont pas de têtes humaines. Ces fameux têtes de dé sont certainement une des particularités de celui que l'on a appelé le maître de Serrabone.Vous pouvez remarquer qu'aucun visage ne se ressemble. Vous en avez qui sont carrèment de face, vous en avez beaucoup qui sont de trois-quarts face et certains plus que de trois-quarts face. Vous avez celui-ci qui a vraiment une tête médiévale à n'en pas douter -c'est un des plus représentatif-; celui-ci a reçu l'appellation du siffleur, parce qu'on dirait qu'il siffle -mais elle est tout à fait officieuse-. N'oublions pas que tous ces trous de trépas étaient garnis de plomb. Il y en a qui l'ont conservé. C'est une manière de donner de l'animation.

 

      La même démarche d'étude peut s'appliquer ensuite à tous les animaux, dans la mesure où ils s'organisent tous de la même façon. La construction du chapiteau ne varie guère. Il y en a un qui est intéressant et qui pose un peu problème, c'est celui-là. Vous avez des individus que l'on dirait au balcon. On dirait bien qu'ils sont au balcon mais c'est parce que nous avons dans notre mémoire proche des attitudes semblables. Nous n'avons pas le droit de les faire remonter jusqu'à cette époque-là. Nous avons ces fameuses feuilles accrochées (et vous remarquerez qu'ici le crochet n'occupe pas l'angle, parce que l'angle a été réservé au visage de chacun de ces personnages qui, évidemment, prolonge davantage la matière à cet endroit particulièrement fragilisé du chapiteau. L'abaque (on est partie du chapiteau, le tailloir, l'abaque ici) l'astragale et la corbeille. A cette époque-là, l'astragale est solidaire de la corbeille. Alors que si vous allez à St-Martin du Canigou, à l'église inférieure, dans les saignées qui ont été opérés dans les piliers qui ont enrobé au 11° siècle les colonnes 10° siècle (parce qu'on a décidé de construire une église supérieure, il fallait donc que l'assise inférieure soit plus stable), l'astragale est solidaire du fût et non pas de la corbeille. Les chapiteaux sont d'ailleurs beaucoup plus évasés à St-Martin du Canigou. La sculpture est beaucoup plus frustre.  Alors que dire de ces personnages? Vous avez un singe. S'il y a un singe, il s'agit d'un animal maléfique. Et de chaque côté, nous avons des individus, l'un est barbu, l'autre est imberbe, l'autre est rebarbu, d'ailleurs il répond au barbu. Il est difficile de se prononcer pour dire quelle est la signification exacte de ces personnages. Sont-ils de simples spectateurs? Là aussi ce sont des postures qui correspondent à des postures actuelles qui nous l'indiquent. mais il n'est pas dit que les postures aient toujours eu les mêmes significations. Là nous avons ce que l'on appelle une théorie de lions càd un défilé de lions, tout simplement, avec des volutes. Par contre, l'abaque n'est pas décorée. Une des autres particularités de la tribune, si vous levez la tête, vous remarquerez que nous avons des parties véritablement fonctionnelles et des parties qui ne le sont pas. Les parties fonctionnelles, il s'agit de la maçonnerie réalisée en petits appareils de schiste. Nous avons des voûtes d'arêtes - la voûte d'arête résulte de l'intersection de deux voûtes semi-circulaires, de deux voûtes en plein cintre-. Et nous obtenons ce profil. Et chaque quart de voûte porte le nom de voûtain. Ce sera un motif extrêmement répandu un peu plus tard. Quand aux tores que vous avez là, qui se croisent avec un élément commun au sommet qui distribuent dans les quatre directions, ils ont simplement une fonction décorative et non architectonique. Vous pouvez voir qu'en aucun cas ils ne supportent la voûte, sauf en haut, bien entendu;  on a été obligé de la faire opposée. Mais la voûte tient sans ça puisqu'elle résulte d'une intersection de deux voûtes en berceau plein cintre.

                La tribune a-t-elle déplacée de là-bas vers ici. Là aussi la polémique. Dans un premier temps, Marcel  Durliat avait accepté cette hypothèse. Ensuite il a déclaré que la tribune était à sa place originelle. Et il a remarqué, dans la partie Ouest de l'église, au moment des restaurations, des parties témoignant de l'arrachement d'une tribune qu'il pensait être antérieure à celle-ci. Pour Pierre Ponsich, cette tribune n'est pas à son emplacement. Elle a été décalée vers l'Est. Et deuxièmement, les trois arcs que vous avez ici étaient de l'autre côté, et cette porte était de l'autre côté. Toute une série de spéculations ont été engagées sur le nombre des chapiteaux, la disposition des chapiteaux etc . Certaines choses permettent d'avancer avec certitude certaines hypothéses. Vous pouvez voir déjà que cette tribune est plus large que la nef où elle se trouve.  Il est quand-même impensable de croire l'architecte assez idiot pour construire une tribune plus large que l'emplacement prévu. Or on s'aperçoit que la largeur de la tribune est égale à la largeur de la nef à cet endroit. Donc, a priori, il semblerait qu'elle ait été construite pour être là_bas. Deuxièmement, il y a des choses troublantes, quand on vient ici: vous avez ces deux portes qui se correspondent, qui sont à la même hauteur. Celle-ci donne sur la salle capitulaire, celle-ci donne sur le clocher. Elles sont à peu près à cette distance du sol de la tribune. Donc, indiscutablement, la tribune, outre sa fonction de lieu de chant choral a une valeur de passage, pour aller sonner les cloches, en allant directement dans la salle capitulaire. Une chose est choquante cependant. C'est que ces deux portes, morphologiquement, sont des portes 11° siècle et la tribune est du 12° siècle. Si elles sont du 11° siècle, c'est qu'elles sont antérieures à la construction de la tribune. On ne voit pas pourquoi on aurait construit deux portes cent ans en avance. Donc c'est que, entre l'une et l'autre, il y avait une relation. Ce qui laisse à penser que Durliat avait raison en pensant qu'effectivement il y a eu au 11° siècle une première tribune. Ce qui me fait penser qu'également Ponsich a raison. Lui nie l'existence d'une première tribune. Moi je pense qu'elle a réellement existé (ces deux choses-là l'attestent). Maintenant il a raison quand il dit que la tribune a été déplacée. Il est certain que cette tribune n'a aucune signification à l'endroit où elle se trouve. Dans un lieu où les espaces sont calculés, cette tribune déjà est amputée au niveau de sa corniche, au niveau de ce pilier, elle a deux chapiteaux qui s'engagent là-bas dessous, elle obture en plus ces deux arcades qui ont un rythme remarquable. Je ne pense pas qu'un architecte aurait pu faire une faute de goùt pareille à la construction. Maintenant qu'elle ait été retournée, ça c'est une autre histoire. Il prétend qu'elle a été retournée. Je ne dis pas que j'ai de la peine à le croire, mais il y a des éléments qui perturbent le raisonnement. A savoir qu'il y avait sur cette tribune une balustrade. Donc, si cette balustrade est sculptée, forcèment elle était sur cette façade. L'autre façade ne l'est pas. Donc Ponsich a raison: la vraie façade de cette tribune, c'est là. Mais ce qui va dans le sens d'un déplacement de la tribune, d'un retournement, c'est que si l'autre façade n'est pas sculptée, c'est qu'elle était proche de ce côté-là. Et deuxièmement, s'il n'y avait pas de balustrade, c'est que peut-être elle était presqu'accolée au mur. Il faudrait savoir si la porte unique que nous avons là-bas, est de hauteur et d'embrasure inférieures à la porte initiale qui n'existe plus, qui a été détruite. Pour savoir si elle était visible depuis l'extérieur. Il y a tout un tas de spéculations qui vont dans le sens d'un déplacement de la tribune, c'est certain d'un retournement de la tribune, c'est à peu près certain. Maintenant je peux ajouter qu'il y a eu une tribune antérieure. Sinon on ne voit pas comment on aurait des portes 11° et non pas des portes 12°. Cela paraitrait bizarre.

Ce qui va aussi dans le sens de la thèse de Ponsich, c'est que la tribune est adossée quand-même à un endroit où il y a des fresques. Or si les fresques sont du 12° siècle, on voit mal comment on va bâtir un élément sur des fresques qui viennent d'être peintes.
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